Dieulivol, de la légende à l'Histoire : les origines

(toponymie, peuplement, la paroisse primitive, le château, la naissance du bourg castral et l'église au XIIIe siècle)

 « Là on voyait Dieu-li-volt dont le nom nous ramène aux expéditions chevaleresques des croisés en Orient (…) » 

Henry Ribadieu, Les châteaux de la Gironde : moeurs féodales, détails biographiques, traditions, légendes. Bordeaux,1855  

Dioulivol., Diulibol, Diu l’i vòl, Diex-li-volt, Dieu le veut, Dieulivol ! Lieu de rassemblement des croisés en partance pour la Terre Sainte ? Souvenir de la venue du prédicateur Pierre l’Ermite en 1095 ? Pourtant le toponyme Dieulivol pourrait avoir une toute autre signification...

Les origines : toponymie, peuplement, la paroisse primitive...

L’explication selon laquelle Dieulivol aurait été le lieu de rassemblement des croisés en partance pour la Terre Sainte semble être apparue au XIXe siècle ; elle a constamment été reprise depuis lors. De nombreux auteurs ont écrit que Dieulivol tire son nom du souvenir de la première croisade (1095-1099) car ce toponyme rapelle le cri de guerre lancé par les croisés partis à la reconquête des lieux saints : Dieu le veut ! Michel Dupin écrit ainsi en 1839 : « Le nom de la commune prend son étymologie de l’ancien cri des croisés Diex li volt ! (Dieu le veut). On ne trouve plus que quelques ruines de l’ancien château du lieu (…) ». Henry Ribadieu poursuit en 1855 : « Là on voyait Dieu-li-volt dont le nom nous ramène aux expéditions chevaleresques des croisés en Orient (…)». En 1873, Octave Gauban précise: «On remarque sur le bord d’un rocher à pic, les ruines d’un ancien château du XIIIe siècle. Il était entouré au nord et au nord-ouest d’un fossé profond. Le nom rappelle le cri des croisés (…) Ce fut sans doute le lieu où s’assemblèrent les croisés du pays soit en 1095 soit plus tard ».

Léo Drouyn estimait quant à lui peu probable «qu’une localité de Gascogne ait adopté une étymologie française à l’époque des Croisades». Si les chroniques et les cartulaires citent les seigneurs des environs ayant pris part à la première croisade tels Bertrand de Taillecavat, Amanieu de Loubens ou encore Bernard de Bouville, vicomte de Bezeaumes, rien n’indique qu’il y ait un lien direct entre le toponyme Dieulivol et le départ des croisés pour la Terre Sainte ! Il faut encore préciser que le souvenir de la venue de Pierre l'Ermite à Dieulivol est resté pendant très longtemps ancré dans la mémoire collective des habitants du lieu. Certains ouvrages ont même mentionné l’existence d’une statue du prédicateur sculptée dans un rocher !

Le souvenir de la première croisade : légende ou réalité ?

Le 27 novembre 1095, lors du  concile de Clermont, le pape Urbain II lança un appel qui marqua le début de la première croisade. Il exhortait les chrétiens à délivrer Jérusalem alors aux mains des musulmans. A ceux qui partiraient, il promettait l’indulgence plénière, c’est à dire la rémission de tous leurs péchés. Cet appel ne concernait ni les femmes, ni les vieillards, ni les clercs. C’était un pèlerinage armé qui s’adressait prioritairement aux chevaliers. Dès la fin du mois d’avril 1096, le pape était venu à Bordeaux où il consacra la cathédrale Saint-André. Il poursuivit ensuite son voyage en Aquitaine et en Gascogne en traversant le diocèse de Bazas, ville dans laquelle il consacra la cathédrale Saint-Jean-Baptiste le 7 mai. Dans la région son appel fut surtout entendu par des seigneurs des environs de La Réole (cf carte ci-dessous). 

Carte croisade
Legende carte
Avec l'aimable autorisation de Frédéric Boutoulle, carte extraite de :
"De La Réole à Jérusalem. Les participants à la première croisade originaires du Bazadais et du Bordelais (1096-1099)"
Hommes, villes, campagnes du Bazadais d'hier et d'aujourd'hui. Actes du huitième colloque l'Entre-deux-Mers et son identité,
tenu à La Réole et Bazas, les 22 et 23 septembre 2001


Par ailleurs la chronique de Bazas et le cartulaire de La Réole ne livrent aucune information sur les éventuels participants à la croisade dirigée par le prédicateur Pierre l’Ermite... Or celui-ci aurait pu venir dans les environs. En effet, alors même que les chroniqueurs français font traditionnellement du pape le seul véritable initiateur de la première croisade, des historiens affirment que Pierre l'Ermite a pu prêcher avant le concile de Clermont, notamment dans la partie méridionale de la France… Légende ou réalité la venue du prédicateur Pierre l'Ermite à Dieulivol, tout comme l'origine de ce toponyme, conservent donc une grande part de mystère. 


La première mention écrite connue faisant 
éférence à la paroisse de Dieulivol date de 1274 et celle-ci est alors désignée sous la forme Dioulivol. Toutes les mentions postérieures durant le XIVe siècle retranscrivent la localité sous les formes : Diulibol, Diolibol. En gascon
Diu l’i vòl signifie Dieu l’y veut, et pourrait désigner un emplacement sûr, une solide défense, comme si c’était Dieu lui même qui avait choisi l’endroit où ériger le château.

Bien sûr l’histoire du lieu a commencé bien avant cette période et son peuplement est fort ancien. Des prospectives au sol ont permis de révéler des traces d'occupation du site par l'homme dès le Paléolithique. Dans la plaine, près de la rivière du Drot, des substructions de villae gallo-romaines ont été repérées. D'autres villae étaient implantées sur les coteaux et à l'emplacement du bourg actuel. Une nécropole de la fin de la période gallo-romaine ou de la période mérovingienne se trouvait dans un parcelle située à proximité de l’église de Dieulivol. 

Sépulture Tourneguy

Une sépulture découverte à Tourneguy lors de travaux de terrassement en 1964 
(photographie prise par le curé Ecrepont - Remerciements à Dominique Barraud & Claude Castevert)

Parmi les autres vestiges de la période mérovingienne il convient de mentionner les sarcophages monolithes de formes trapézoïdales de Tourneguy. La paroisse castrale Saint-Pierre de Dieulivol est d'ailleurs probablement née du démembrement d'une paroisse primitive, Saint-Martin de Tourneguy, qui existait autour de l'an Mil et à laquelle elle a été réunie postérieurement. Une portion de Saint-Jean d’Anzas (Sainte-Colombe de Duras) lui a aussi été annexée.  L’église de Tourneguy est apparue sur le site d’une ancienne nécropole mérovingienne. En 1523 elle est mentionnée comme une annexe de Baleyssagues (Lot-et-Garonne). Au XVIIIe siècle elle est signalée en ruines sur la carte de Belleyme et il n'en subsiste que quelques vestiges. Elle est néanmoins encore citée durant la Révolution au moment où la municipalité est tenue de faire l'inventaire des bien du clergé.  Au début du XIXe siècle, les ruines de Tourneguy sont mentionnées sur la section de Saint-Martin (saint titulaire de l'ancienne paroisse.) Une croix ancienne érigée en mémoire de l’annexion de Saint-Martin à Dieulivol est toujours visible en 1897. En 1911 le curé Villeneuve écrit que les «quelques pierres sculptées», les «ossements sans nombre» et les «cercueils de pierre vive» qui sont à ses abords attestent de sa «très haute antiquité». Dom Joseph-Réginald Biron, ancien curé de Dieulivol, la mentionne dans son Précis de l’histoire religieuse des anciens diocèses de Bordeaux et de Bazas. L’un des chapiteaux de l’église de Tourneguy est déposé à la grotte de Dieulivol où il a été utilisé dans la maçonnerie du banc de communion. Ce qui reste de l’église et du petit cimetière qui l’entoure disparaît définitivement en 1964.

Carte de Belleyme

L'église de Tourneguy apparaît en ruines sur la carte de Belleyme au XVIIIe siècle

Le château, le bourg castral et l’église (XIIIe siècle)

Dieulivol est probablement apparu au XIIIe siècle dans les premières défenses d’un château érigé à la pointe d’un promontoire rocheux dominant la vallée du Drot. Mais son histoire est très mal documentée par les textes pour cette période. Il est fait mention de la paroisse pour la première fois en 1274. La Guyenne est alors une possession anglaise. On sait que la fille aînée du duc d’Aquitaine Aliénor, avait épousé en 1137 le futur roi de France Louis VII mais que cette union fut rompue en 1153. La même année Aliénor épouse Henri Plantagenêt comte d’Anjou et duc de Normandie qui accède au trône d’Angleterre l’année suivante. Dès lors une longue rivalité va opposer Anglais et Français pour la possession de la Guyenne. La vaste opération connue sous le nom de Recogniciones feodorum in Aquitania (1273-1275), permet au roi-duc d’éviter les troubles avec les seigneurs gascons en établissant clairement les droits et obligations des villes, des seigneurs du sol et des communauté. Bertrand de Bouville, descendant du dernier vicomte de Bezeaumes, fait acte d’hommage et de reconnaissance féodale pour la paroisse de Dieulivol et ses dépendances, pour lui-même et ses frères, devant Edouard Ier en mars 1274. L’acte ne mentionne pas l’existence du château de Dieulivol. Pourtant les conflits répétés entre seigneurs gascons, les soulèvements dont ceux-ci étaient les instigateurs contre leur suzerain le roi d’Angleterre, et les incursions fréquentes des armées du roi de France sur ses terres amenèrent le seigneur de Dieulivol à protéger le site derrière de solides murailles. Situé entre la bastide de Monségur, l’abbaye de Saint-Ferme et les châteaux du Puy et de Duras, le château occupait une position de contrôle idéale sur la vallée du Drot. On ignore cependant tout de ses premiers seigneurs et de l’étendue de leur juridiction.

L’historien et archéologue girondin, Léo Drouyn, a décrit dans son ouvrage La Guienne militaire (1865) les vestiges de l’ancien château qui étaient encore visibles au milieu du XIXe siècle :

« Le château est presque entièrement ruiné ; il s’élevait sur le bord d’un rocher à pic qui fait en cet endroit une légère saillie dans la vallée du Drot, presque en face de Monségur. Au nord et au nord-ouest, on a creusé un large et profond fossé dans le roc ; à l’est, le terrain descend en pente douce, et le fossé y a peut-être été remplacé par une terrasse dont le sol devait être au niveau du fond du fossé. La porte défendue par une tour carrée entièrement démolie, était en A, (voir plan ci-dessous) à l’extrémité d’un pont qui traversait le fossé. Il reste encore, en B et en C, d’anciens bâtiments qui me font penser, par leur caractère, que les murs de la forteresse ne remontent pas plus haut que la fin du XIIIe siècle ; mais l’église bâtie sur le bord du rocher étant romane, les fossés doivent être plus anciens que les constructions qui subsistent encore. »

Dieulivol - Vue aérienne du bourg Dessin_Léo_Drouyn
Vue aérienne du bourg de Dieulivol (collection N. Petit) et plan dessiné par Léo Drouyn lors de sa venue à Dieulivol en 1863

Sylvie Faravel dans sa monumentale thèse de géographie historique consacrée à l’occupation du sol et au peuplement de l’Entre-deux-Mers bazadais
relève que le parcellaire du plan cadastral de 1835 conserve encore la forme quasi ovale de l’enceinte, le tracé des murs y est nettement perceptible. Le château se situait dans la partie ouest de l’enceinte, sur un groupe de parcelles formant un demi-cercle. Au centre de l’enceinte une parcelle carrée pourrait correspondre à l’emplacement d’une ancienne halle. Au sud, dans la basse cour du château, cette parcelle carrée est bordée par une parcelle rectangulaire où est implantée l’église castrale devenue par la suite église paroissiale. A ses abords immédiats se trouvait le cimetière primitif : des sépultures médiévales creusées dans le roc ont été découvertes dans l’emprise de la parcelle 492. A l’est de l’église, en rupture de pente, un pan de courtine du XIVe siècle construit en grand appareil cubique est encore visible. Il y a quelques années, sur le côte le plus proche de l’église, une amorce d’arc de porte était encore conservée.
La partie nord de l’enceinte était probablement destinée au développement du bourg castral. Sylvie Faravel explique l’échec de son essor par sa trop grande proximité avec la bastide de Monségur, fondée en 1265, dans le même siècle que le château.


bourg castral ruines de l'ancien château
Bourg de Dieulivol d'après la plan cadastral de 1815 (S. Faravel)  et ruines de l'ancien château en mai 2020 (photographie Benoît Pénicaud)


L’église de Dieulivol : une église castrale devenue église paroissiale

Située à l’intérieur de l’enceinte aujourd’hui disparue de l’ancien château, aux abords d’un à-pic rocheux qui domine la vallée du Drot, l’église de Dieulivol fut probablement remaniée au cours des siècles, lors de la Guerre de Cent Ans puis après les Guerres de Religion. Elle a cependant conservé une grand unicité de style. Son plan rectangulaire et sa construction en grand appareil permettent de la dater du XIIIe siècle. Les seuls éléments postérieurs sont le clocher-mur, sur la façade occidentale, et le portail primitif, partiellement muré au profit d’un portail plus petit, qui semblent tous deux appartenir au XIVe ou au XVe siècle. Le porche, daté de 1717, et la tour d'horloge construite contre le clocher-mur, sur le côté nord-ouest de l’église, sont modernes. Une visite de 1804 ayant jugé l’église en médiocre état, mal entretenue et trop enfoncée, on fit rehausser les murs de la nef. 


Eglise vue du chevet

L'église vue du chevet (photographie Benoît Pénicaud) : le rehaussement des murs de la nef est nettement perceptible

La nef est unique et voûtée en berceau brisé. L’historien et archéologue girondin Léo Drouyn, venu visiter Dieulivol en 1859, estimait que l’église n’était pas à l’origine voûtée. A l’intérieur de la nef, quatre travées séparées par des colonnes engagées supportent des arcs doubleaux en plein cintre. Dans son ouvrage consacré aux vieille églises de la Gironde Brutails fait remarquer que le maître d'œuvre a dissimulé la rencontre des berceaux avec les murs de tête sous une sorte de doubleau qui rappelle le formeret des voûtes gothiques.

carte postale église Clocher mur de l'église
L'église de Dieulivol (carte postale) et vue depuis le jardin de l'ancien presbytère (photographie Benoît Pénicaud - mai 2020)

L'église est éclairée par six fenêtres percées dans les murs nord et sud, et une septième au centre du mur du chevet. Les fenêtres sont en plein cintre. Les vitraux sont l’œuvre, du maître verrier bordelais Joseph Villiet. Dans le chœur, le vitrail est consacré à saint Pierre. Aucune trace de l’ornementation originelle n’est visible. Seuls les chapiteaux de la nef, à peine sortis de l’épannelage, présentent une corbeille lisse à masques d’angles rudimentaires, surmontée d’un tailloir parsemé d’étoiles cerclées en plat relief. La nef se termine par un chœur carré à chevet platA l’extérieur, sur les murs gouttereaux, l’église est protégée par des contreforts. Les contreforts d’angle se réduisent eux à un empattement, à une simple surépaisseur des murs. Le clocher-mur à pignon triangulaire est percé de trois baies pour les cloches. Depuis le porche on jouit d’une belle vue sur la vallée du Drot. L’église est dédiée à Saint-Pierre, saint tutélaire de la paroisse de Dieulivol. Elle a été inscrite aux Monuments historiques par un arrêté en date du 24 décembre 1925.

Poursuivre la visite de l'église de Dieulivol  ici

Benoît Pénicaud - L'Histoire de Dieulivol

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